Contre vents et marées
Laura Delaye a lu « Amarres » pour Le Carnet et les Instants
Il est marin pêcheur, c’est ce qu’il voulait faire depuis tout petit. La violence des flots, les tempêtes, la lutte pour maîtriser l’immaîtrisable, il en a besoin.
Elle, douce, légère et solaire, passe son temps à l’attendre et se demande souvent s’il reviendra lorsqu’il l’abandonne au petit matin.
Lui, c’est Helmut, un prénom allemand qui ne plaisait pas à son institutrice. Enfant, déjà, il avait dû se battre. Le combat vain qu’il menait alors ne se jouait pas contre la mer. À l’époque, c’était contre le père alcoolique qu’il fallait lutter. Du haut de ses huit ans, Helmut ne savait jamais ni où ni quand le coup allait tomber, ni même s’il en réchapperait.
Il l’a frappé sur la tête. Avec quoi ? Une planche ? Sa main ? Son pied ? Helmut n’avait pas fui, cette fois. Quand le père a franchi la porte en hurlant et en titubant, Helmut ne s’est pas caché, comme d’habitude, et comme les autres. Il n’en pouvait plus de toute cette terreur qui leur mangeait les entrailles jour après jour, à lui et à ses frères et sœurs, cette terreur qui les tétanisait, les glaçait de peur à chaque fois. Alors, c’est venu comme ça, sans qu’il y ait réfléchi. Il est resté droit comme un piquet, au milieu de la tourmente, du haut de ses cent douze centimètres. Maintenant, il se demande s’il va mourir.
L’affrontement est bien réel, ce n’est pas un spectacle, pas celui que donne l’Undertaker, champion de catch qui gagne à chaque fois…
Le combat est seulement sur la scène. On voudrait y croire.
En mer aussi la lutte est bien réelle, chaque jour, contre les forces de la nature, par tous les temps, il s’embarque sur son chalutier durement acquis. Il faut payer les traites, rembourser un crédit accordé après des années passées à économiser, faire face à la concurrence et aux quotas européens de plus en plus stricts.
Dans les bras de la femme à la longue chevelure rousse, il tente de baisser la garde, mais la carapace obstinément forgée est toujours là, nécessaire, indispensable pour revenir à la mer.
Parfois la musique apaise, permet la fusion des corps et l’abandon.
C’est une histoire comme un morceau de jazz, une phrase musicale, toujours la même, chaque fois différente, un morceau d’Avishaï Cohen qui s’appelle Remembering, comme la marée, le ressac de la mer qui revient et qui s’en va. Une histoire d’amour.
Mais le passé revient sans cesse. Écho lancinant comme un riff de guitare.
Combien de coups faut-il encaisser pour devenir un homme ?
Dans ce va-et-vient constant entre passé et présent, douceur et brutalité, le style dépouillé et tranchant de Do Levy Dewind, qui signe avec Amarres son premier roman, dit les sentiments que l’on ne parvient pas à exprimer et la difficulté à se passer de son passé. Lorsque la phrase se fait lyrique, c’est pour raconter la violence en spectacle, celle du combat de catch qui vient, en miroir, interrompre le récit de la vie rude d’Helmut.
À quoi ressemble la vie lorsque le spectacle est terminé ?
Cette question, le lecteur se la posera encore longtemps, une fois le livre refermé.
Laura Delaye pour Le Carnet et les Instants :
« Amarres » de Do Levy Dewind est disponible en librairie et sur notre e-shop :
